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Brève Histoire de l’Upcycling en quatre objets phares

  • 14 nov. 2024
  • 5 min de lecture

Dernière mise à jour : 5 déc. 2024

L'acte de réemployer de la matière a toujours existé dans les pratiques humaines. Mais concevoir le geste comme un levier d'action politique est une pratique récente dans l'Histoire du design. La Tin Can Radio de Victor Papanek, les chaises Sedia d'Enzo Mari, le fauteuil Favela des frères Campana ou bien encore la Rag Chair de Droog Design ont ce point commun qu'ils proposent un regard critique sur le geste créateur dans le design.


Avant même d’être une action écologique, le réemploi de matériau, au même titre que le recyclage, est un acte logique, voire même économique. Nombre de filières que l’on connaît à l’heure actuelle ont traditionnellement été de l’ordre du réemploi ou du recyclage. Avant l’arrivée du plastique, les boutons étaient faits au début du XXe siècle à partir de galalithe, qui en grec veut dire « pierre de lait ». C’est un polymère thermodurcissable issu de la caséine, protéines issues du lait. La valorisation de ce qu’on peut considérer à l’heure actuelle comme des « déchets » était alors monnaie courante. C’était par souci économique que cette pratique était répandue.

Les matières premières neuves coûtaient cher avant la Seconde Guerre mondiale, et l’on trouvait de nombreux subterfuges pour avoir à en utiliser le moins possible. Les années 50 ont par la suite marqué un tournant : la production d’objets s’est enrayée et est devenue une machine infernale impossible à arrêter. La matière première est devenue facilement accessible et peu coûteuse, le consommateur moyen désirait des objets et équipements neufs. Exit les équipements partagés et le recyclage, chaque ménage rêvait de la panoplie d’objets individuels et flambants neufs. C’est à ce moment là que le design connaît son avènement. C’est avec la production excessive d’objets en tous genres, dont certains frôlaient le gadget et la plupart était en plastique, que le design s’est affirmé. Certains entrevoyaient déjà les dangers d’une production irresponsable. En philosophie on peut notamment citer Hans Jonas qui, dès les années 60, mettait en garde ses contemporains concernant l’aspect précaire des ressources terrestres et parlait de « pillage toujours plus effréné de la planète ». Dans la sphère du design c’est Victor Papanek qui, une décennie plus tard, a tiré la sonnette d’alarme et a scandé qu’il n’existait pas de métier plus dangereux que celui de designer. Le design s’est donc construit dans une logique de production capitaliste : le profit importait davantage que la durabilité de l’objet ou son impact sur l’environnement.

Les objets qui suivent sont à situer dans ce contexte de production effrénée et dénuée de responsabilité. Lorsque le plastique coûte moins cher à produire que le bois, que l’industrie supplante l’artisanat, le choix des matières premières et des méthodes de production peut s’avérer un acte politique. Le point commun entre chaque projet réside dans l’adaptabilité de la production et une démarche « Do It Yourself ». L’idée étant de donner à chacun les clefs pour produire en fonction de la matière dont il dispose et donner ainsi un second souffle à une matière première délaissée.


La Tin Can Radio, par Victor Papanek - 1965


Penseur de l’éco-design, professeur et designer, Victor Papanek est l’un des premiers à pointer du doigt la responsabilité du designer. Auteur du célèbre manifeste Design pour un monde réel (1971), il étoffe son ouvrage d’anecdotes personnelles et de réalisations, dont la Tin Can Radio. Il considère que le design doit être conçu spécifiquement selon les besoins et la localisation d’une population. Un même objet ne peut pas être utilisé de la même façon partout sur la planète, de la même façon, tous ne disposent pas des mêmes ressources pour en assurer la production. C’est en partant de ce constant qu’il a, en 1965, créé la Tin Can Radio, pensée pour les pays en voie de développement. C’est une radio fabriquée à partir d’une cannette, et autres matériaux peu coûteux :

« Un de mes premiers travaux pour l’Unesco à Bali a été le développement de la Tin Can Radio, une radio alimentée par une bougie, du bois, ou des excréments de vache séchés. Comme l’emballage pour ce dispositif était une boîte de jus de fruits usagée, j’ai décidé de ne pas la décorer du tout afin d’éviter d’imposer une esthétique européenne aux Indonésiens. » Victor Papanek

Le but est d’offrir aux pays en voie de développement un canal de communication, à partir de matériaux présents en grand nombre. L’esthétique est également pensée pour être minimale, et ne pas se conformer à des goûts occidentaux. Car on le sait, l’esthétique d’un objet est également en partie responsable de l’obsolescence psychologique, qui pousse le consommateur à remplacer un produit uniquement parce que son aspect ne le satisfait plus. Les composants de la Tin Can Radio sont également pensés pour être facilement remplaçables afin d’assurer la pérennité de l’objet.


Chaises Sedia, « Autoprogettazione », Enzo Mari, 1974


Pionnier du « Do It Yourself » et porteur d’idéaux sociaux, Enzo Mari est un designer italien qui a pensé en 1974 une série de meubles que tous peuvent se réapproprier. Lors de l’exposition de présentation de la gamme de mobilier, il fournissait gratuitement le plan de fabrication aux visiteurs. Ce sont des meubles que l’on peut facilement reproduire, qui ne demandent ni un savoir-faire précis, ou bien des outils trop élaborés. Enzo Mari entend ainsi encourager les visiteurs à comprendre la pensée derrière la conception d’un objet et les invite à lui envoyer des photos de l’objet une fois confectionné pour constater les modifications apportées par chacun. Le DIY est pour le designer une façon de court-circuiter le réseau de production-distribution à grande échelle ainsi que de proposer à l’individu une réappropriation de son environnement par le geste créateur. L’esthétique du modèle de chaises Sedia témoigne quant à lui d’une volonté de créer une gamme de mobilier qui soit à la fois simple, robuste et fonctionnelle.



Fauteuil Favela des frères Campana, 1991


Les frères Campana sont un duo de créateurs brésiliens nés à Sao Paulo. Dès leur début, ils confectionnent des objets à partir de matériaux modestes dont ils disposent. Le fauteuil « Favela » est à voir comme un manifeste de création. Eriger au rang de pièce de collection, un fauteuil réalisé à partir d’une multitude de chutes de bois, est en effet un acte engagé. La pièce est réalisée sans structure interne, chaque bout de bois est assemblé de façon aléatoire à la main. Chaque fauteuil produit est alors unique et résulte de plus d’une semaine de travail. Contrairement à Enzo Mari, les frères Campana ont pensé de façon élaborée l’esthétique de leur fauteuil qu’ils proposent comme une forme d’art et invitent le spectateur à voir de la beauté dans les rebuts du quotidien. Leurs autres créations sont à voir sous ce prisme : fauteuils réalisés à partir d’une multitude de jouets en peluche ou de raquettes en bois déformées sont un appel à projeter un regard clément sur les objets qui nous entourent et les considérer comme étant encore fonctionnels alors que d’autres les destinent à la benne.


Rag Chair par Droog Design, 1993


Tejo Remy est membre du collectif hollandais Droog Design et dès les débuts pense des objets qui ont une forte résonance avec les enjeux environnementaux. Il crée en 1993 la Rag Chair, « rag » signifiant « chiffon » en anglais. C’est une chaise réalisée à partir de l’équivalent de quinze sacs de vêtements mis au rebut. Chaque couche de vêtement est empilée, le tout cerclé par des sangles métalliques. Chaque pièce est ainsi unique et porte la mémoire des usages passés des vêtements. En 2021, le Musée des Arts Décoratifs de Paris a invité le designer hollandais à réaliser une Rag Chair in situ, employant des toiles de lin utilisés pour une scénographie d’une exposition passée. L’invitation du MAD à réaliser une Rag Chair en réemployant des matériaux de réemploi plutôt que d’exposer une Rag Chair existante reflète tout à fait la pensée derrière le projet manifeste. Il s’agit de mettre en avant la matière délaissée à travers la création d’une œuvre, plutôt que vouloir s’en débarrasser et la cacher comme si produire des déchets provoquait de la honte.




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